Depuis que nous savons devoir accepter l’étrangeté absolue de l’Autre, notre combat pour le sens n’a jamais cessé. Nous en savons bien, au fond de nous, l’issue fragile, mais curieusement, dans notre confrontation quotidienne avec le monde, nous faisons fi de ce doute et accordons aux mots, aux phrases et aux images un sens trop souvent univoque et linéaire. Nous demandons celui des mots au dictionnaire, celui des phrases à la logique et celui des images au réel qui nous entoure. Les mots se fondent dans la phrase, rejoints là par les images qui se noient dans le texte qui les explique… C’est au cœur même du berceau tranquille de ces habitudes qu’interviennent les œuvres dérangeantes de Lucie Duval. La présentation de ces photographies —il conviendrait peut-être de parler d’installation— met en effet littéralement en pièces la linéarité et la sérénité de ce sens que l’on dit commun.
Les photographies, format carte postale, témoignent portant d’une expérience qui aurait pu être la nôtre. De même que les bribes de phrases qui marquent leur dos et qui sont de celles qui hantent l’esprit nomade. Les mots solitaires gravés dans les miroirs qui reflètent les photos sont ceux dont nous aimons faire des images. C’est la rencontre brusque de ces trois éléments quotidiens, leur télescopage, qui fait éclater le sens attendu en une myriade de possibles et de rêves. Après avoir lu la phrase d’envoi il nous faut pencher, à droite puis à gauche, pour distinguer le reflet de l’image et le mot qui la trouble et la fragilise. Le monde vient de s’ouvrir… Et n’oublions pas que le « 25 images/seconde » du titre de l’exposition est l’indice du ralenti cinématographique. Alors, prenons le temps de voir : savoir le sens ambigu est note plus grande richesse.
Jean Dumont